Les atteintes à la « liberté académique », les menaces qui pèsent sur les enseignants mais également sur les étudiants et sur les Institutions de la République en général (la langue, lalaïcité, l’école) et l’indifférence que cette situation semble engendrer dans les instances censées les représenter amènent à légitimement souhaiter offrir un cadre, un recours et une aide pour la défense des collègues ciblés par ces phénomènes de harcèlement administratif, juridique ou moral.
C’est pourquoi nous avons fondé l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires.
Nous faisons face aujourd’hui à une vague identitaire sans précédent au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un mouvement militant entend y imposer une critique radicale des sociétés démocratiques, au nom d’un prétendu « décolonialisme » et d’une « intersectionnalité » qui croit combattre les inégalités en assignant chaque personne à des identités de « race » et de religion, de sexe et de « genre ». Ces sociétés, assimilées à « l’Occident » aux dépens de toute approche géographique et historique rigoureuse, sont condamnées comme coloniales et patriarcales et comme lieux où sévit un « racisme systémique », dans des discours confondant science et propagande. Ce mouvement idéologique procède à une occupation méthodique des postes de prestige savant, ce qui l’a fait sortir de la marginalité malgré l’extrémisme, l’intolérance et la vindicte qui le caractérisent.
Les idéologues qui y sont à l’œuvre entendent « déconstruire » l’ensemble des savoirs. Il ne s’agit pas pour eux d’exercer librement les droits de la pensée savante sur ses objets et ses méthodes, mais de mener la critique des savoirs dans un esprit de relativisme extrême, discréditant la notion même de vérité. Tout savoir est exclusivement réduit à des enjeux de pouvoir, et les sciences sont systématiquement dénoncées du fait des dominations de race, de culture, de genre, qui seraient à leur fondement.
Militantisme et « déconstruction » se conjuguent ainsi pour limiter l’exercice de la rationalité critique et le débat scientifique argumenté. Le nouveau credo du décolonialisme et des idéologies identitaires se répand sur les réseaux sociaux qui l’amplifient, et ses adeptes visent quiconque refuse la conversion : des phénomènes de censure, d’intimidation, de discrimination politique ont instauré des clivages inédits et conduisent de jeunes doctorants à s’aligner sur les nouveaux mandarins sous peine de ne jamais obtenir de postes.
Or, le problème est loin de se cantonner à la profession des enseignants-chercheurs. En effet, la question de la science pose celle de la formation sur laquelle repose l’École, clé de voûte de la République. De plus la conquête méthodique d’une hégémonie culturelle se traduit par une emprise croissante sur les médias, ce qui limite considérablement l’espace du débat démocratique.
C’est précisément parce qu’il est crucial de combattre les discriminations racistes et sexistes dans notre société qu’il est nécessaire de combattre ces nouvelles formes de fanatisme. Celles-ci s’autorisent de nobles causes sans apporter aucune solution valable aux problèmes soulevés. De surcroît, ces nouveaux militantismes fanatiques procèdent à de curieuses inversions. Au nom de l’« antiracisme politique », on revendique des identités raciales et on assigne les individus à leur « blanchité » ou à leur non « blanchité ». En prétendant développer une écriture « inclusive », on entend imposer une orthographe contraire aux fondements de la langue, impossible à enseigner, et donc profondément excluante. Au lieu de développer un savoir situé socialement et historiquement, on prétend enfermer tout savoir dans un genre, une race, une culture ou un âge, qui se trouvent ainsi essentialisés en identités. Ce n’est pas ainsi que l’on combat le racisme, le sexisme ou les inégalités à l’intérieur d’une nation ou entre les nations. Et cet identitarisme qui progresse au sein de l’Université menace en retour de faire progresser d’autres formes d’identitarismes en dehors de l’Université.